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28 février 2010

Nouvelles découvertes sur le Taiji Quan

 

En 2003, a été retrouvé le « Livre de la famille Li » (李氏家譜) qui a été rédigé par Li Yuanshan (李元善, 1642-?) en 1716. Ce texte éclaire d'un jour nouveau l'histoire du Taiji Quan. L'historien Wang Xingya (王興亞, né en 1936) l'a particulièrement étudié. On y apprend que la famille Li et celle de Chen Wangting (陳王庭), l'ancêtre de la lignée du Taiji Quan, étaient parentes.

Tout commence avec Li Chunmao (李春茂, 1568-1666) qui a étudié la boxe, l'épée, la lance, l'arc, la stratégie militaire et la religion avec Bogong Wudao (博公武道), au monastère Qianzai (千載寺) du village Tang (唐村) dans le district de Bo'ai (博愛縣) de la province du Henan (河南). Cette localité se situe à une vingtaine de kilomètres à vol d'oiseau de Chenjia Gou, le village de la famille Chen. Quant au monastère, il pratiquait une synthèse du bouddhisme, du taoïsme et du confucianisme. Dans la salle Taiji (太極宮) du monastère, Li Chunmao a appris « l'Exercice de santé du Wuji » (Wuji Yangsheng Gong, 無極養生功) et les « Treize techniques de boxe » (十三勢拳). Li Chunmao a d'ailleurs composé, en 1590, le Wuji Yangsheng Quanlun (無極養生拳論) et le Shisan Shi Xinggong Ge (十三勢行功歌). Or, le contenu de ce dernier traité est proche du Shisan Shi Xinggong Ge qui est attribué à Wang Zongyue (王宗嶽).

Les deux fils de Li Chunmao : Li Zhong (李仲, 1598-1689) et Li Xin (李信, 1606-1644), ainsi que le neveu de Li Chunmao : Chen Wangting se sont eux aussi adonnés à cet art en ce même monastère. Ils ont créé le Taiji Yangsheng Gong (太極養生功). Li Zhong était le père de Li Yuanshan dont nous avons parlé au début de cet article. Quant à Li Xin, connu également sous le nom de Li Yan (李岩), il fut l'un des généraux de Li Zicheng (李自成, 1606-1645) qui mis fin au règne de Chongzhen (崇禎, 1611-1644) le dernier empereur de la dynastie des Ming (明朝).

En 2002, Yi Fan (亦凡) avait déjà retrouvé au village Tang, un exemplaire du Taiji Quan lun (太極拳論) daté de décembre 1786 et signé de Li Helin (李鶴林, 1716-1808), l'arrière-petit-fils de Li Chunmao. Le texte est quasiment le même que le Taiji Quan lun attribué à Wang Zongyue. Li Helin a d'ailleurs écrit à la même époque le Dashou Ge (打手歌). Et l'on sait que le Dashou Ge est un autre traité de Taiji Quan attribué à Wang Zongyue.

Or, à l'entrée de la maison de Li Helin existait une plaque qui a été brûlée lors de la Révolution culturelle (1966-1976). On y lisait : « L'excellence de (l'art) martial » (武元傑第), la plaque était signée : « (Votre) élève Wang Zongyue » (門弟王宗嶽) et datée de 1793 (乾隆五十八年).

Rappelons que les traités de Taiji Quan de Wang Zongyue, ont été trouvés, en 1852, par le frère de Wu Yuxiang, dans une boutique de sel du district de Wuyang (舞阳县). Or, le fils de Li Helin, Li Yongda (李永達) tenait une boutique de sel à Wuyang.

Ces faits nouveaux permettent de mieux dessiner la genèse du Taiji Quan, nous y reviendrons dans les jours prochains...

 

 

04 avril 2009

Quelques nouvelles réflexions sur l’origine du Taiji Quan

Avant de prendre connaissance du texte qui suit, il est conseillé de relire celui du 14 décembre 2006 intitulé :

L’origine du Taiji Quan et son rapport avec le Shaolin Quan

Rappelons simplement que certaines caractéristiques de l'enchaînement Xinyiquan (心 意 拳) de la famille Jia (賈) ressemblent tant au Taiji Quan (太 極 拳) qu'ils ont clairement une origine commune. Reste à déterminer le lien exact de parenté...

En 2007, dans un jardin public, alors que nous montrions à l’un de nos élèves ce Xinyiquan, un professeur chinois d’arts martiaux, Zhang Aijun (張 愛 軍), nous a abordé.

Il était étonné que nous connaissions cet enchaînement qu’il avait lui-même appris dans la province du Henan (河 南) auprès de Jia Zhaoxuan (賈 召 宣).

Plus tard autour d'un verre, nous avons poursuivi cette discussion.


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Le site de Zhang Aijun
(http://www.zhaobao.fr/index.html)


Zhang Aijun nous a dit qu’il connaissait cet enchaînement sous le nom de Xiequan (斜 拳 Boxe en oblique) et qu’il était pratiqué à Zhengzhou (鄭 州) et dans ses environs. Zhengzhou est une grande ville à une cinquantaine de kilomètres au Nord-Est de Shaolin, à une quarantaine de kilomètres à l’Est du village des Chen (陳 家 句) et du bourg de Zhaobao (趙 堡 鎮).

Nous-mêmes avons remarqué que Jia Songan (賈 松 安), petit-fils de Jia Zhaoxuan, enseigne actuellement cet enchaînement à Kaifeng (開 封) et à Jiazhai (賈 寨) sous le nom de Shaolin Xiexingquan (少 林 斜 行 拳) ou encore : « Xiexingquan de l'ancienne école de Shaolin » (少 林 古 传 心 意 邪 行 拳). Jiazhai est à une dizaine de kilomètres de Zhengzhou. On peut voir Jia Songan exécuter une partie de cet enchaînement sur : http://www.56.com/u39/v_MTI1MDIzNjQ.html et sur http://www.56.com/u14/v_MTc2OTUzMDc.html.


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Jia Songan dans la posture du « Coq d'or qui se dresse sur une patte »
(金 雞 獨 立)
(http://shaolinwushuyuan.51.net/gg/sdmpzs.htm)


Zhang Aijun nous a confié que c'est Jia Zhaoxuan de Jiazhai qui en 1984, au moment de la publication du livre Shaolin Wushu (少 林 武 術), aurait rebaptisé l'enchaînement Xiequan en Xinyiquan et l’aurait attribué à sa famille sans raison fondée.


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Le livre Shaolin wushu paru en 1984


Son descendant Jia Songan semble quant à lui réserver le nom de Xinyi Quan (心 意 拳) à son style en général. Xinyi est d'ailleurs un terme classique de Shaolin Quan (la « Boxe de Shaolin » 少 林 拳). Xinyi Quan est par exemple le nom de la boxe de Shaolin du style Yue (岳) ou le nom de celle des élèves de Wu Shanlin (吴 山 林 1875-1970) ; sans parler des enchaînements Changhu xinyimen (長 護 心 意 門) et Xinyiba (心 意 把) du Shaolin Quan.

Zhang Aijun a cité deux autres professeurs, décédés aujourd'hui, qui enseignaient le Xiequan. Ce sont Zhang Rulin (張 儒 林) de Xingyang (滎 陽), à une vingtaine de kilomètres de Zhengzhou, et Li Xinfa (李 新 發) de Zheng Zhou. Une recherche sur Internet montre que cet enchaînement Xiequan est particulièrement rare, puisqu'il est quasiment absent de la « toile ».

Nous avons demandé à Zhang Aijun si l'enchaînement Xiequan différait selon les professeurs qu’il a rencontré. Il nous a répondu qu’il était à chaque fois assez semblable.
Cette parenté est vraisemblablement le signe que tous ces pratiquants descendent d’un même professeur récent.
Mais, d’où ce professeur tenait-il lui-même ce Xiequan ?

Notons que cet enchaînement est parfois enseigné par des pratiquants de Changshi Wuji (萇 氏 武 技) (une boxe, très répandue dans les alentours, se réclamant de Chang Naizhou 萇 乃 周 1724-1783). Toutefois, nous ne croyons pas que cela soit son origine. En effet, les techniques du Xiequan sont assez éloignées de celles du Changshi Wuji qui sont particulièrement caractéristiques.


Trois hypothèses sont possibles

1) Cet enchaînement descend récemment du Taiji Quan ;
2) Il descend d’un ancêtre du Taiji Quan ;
3) Le Taiji Quan descend de l’ancêtre de cet enchaînement.

Etudions tout cela...

Comme nous l’avons déjà dit, dans ce Xiequan, on trouve la même structure et le même ordre des techniques que dans l'enchaînement du Taiji Quan (le « Premier enchaînement » 第 一 路 du style Chen). Toutefois, le coup de poing et ses répétitions y sont absents, comme dans le style Zhaobao du Taiji Quan.


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Coup de poing (掩 手 肱 捶) de la famille Chen


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Coup de poing (搬 攔 捶) de la famille Yang


Si ce coup de poing a été ajouté dans le Taiji Quan, après sa séparation avec le Xiequan, cet ajout est forcément ancien. Car ce coup de poing se trouve déjà dans le Chenshi quan xie pu (le « Recueil de la boxe et des armes du style Chen » 陳 氏 拳 械 普), un manuscrit qui conserve les anciennes listes d’enchaînements du style Chen du Taiji Quan.

Par conséquent ce Xiequan est un parent proche soit du Zhaobao, soit du style Chen tel qu’il était pratiqué anciennement.

Si l'on dresse la liste des noms de techniques communs à la fois au Shaolin Quan, au Xiequan et au Taiji Quan, on obtient plus d'une vingtaine de noms :

Ao 拗,
Bai he liang xi 白 鶴 晾 翅,
Bai she tu xin 白 蛇 吐 信,
Da hu 打虎,
Danbian 單 鞭,
Erqi jiao 二 起 腳,
Gao tan ma 高 探 馬,
Hui tou wang yue 回 頭 望 月,
Jingang dao dui 金 剛 搗 碓,
Jinji du li 金 雞 獨 立,
Kua hu 跨 虎,
Lianhuan chui 連 環 捶 / Lianhuan pao 連 環 炮,
Long chu hai 龍 出 海 / Long chu shui 龍 出 水,
Qian hou 前 后,
Qixing 七星,
Shi zi jiao 十 字 脚,
Shi zi shou 十 字 手,
Tongbei 通 背,
Wangong she hu 彎 弓 射 虎,
Xie xing 斜 行,
Ye ma fen zong 野 馬 分 鬃,
Yuanhou xian guo 猿 猴 献 果,
Yunding 雲 頂 / Baiyun gai ding 白 雲 蓋 頂,
Yunü 玉 女,
etc.

On peut relever quantité d’autres traits qui ne sont communs qu’au Shaolin Quan et au Xiequan (noms de techniques, manière d’exécuter les mouvements).
Ces caractéristiques sont un peu comme des gènes qui témoignent de l'hérédité...
La parenté entre le Xiequan et le Shaolin Quan est donc évidente.

Si le Xiequan descendait récemment du Taiji Quan, cela voudrait dire que ce dernier aurait perdu toutes ces caractéristiques ensuite ?
Plus exactement, cela signifierait que tous les styles de Taiji Quan (Chen, Zhaobao, Yang 楊, etc.) auraient perdu ces particularités récemment et en même temps.
Cela semble bien improbable.

Ajoutons que les traits propres au Taiji Quan, ceux que l'on ne retrouvent pas dans le Shaolin Quan (le début de l'enchaînement où l'on avance vers l'avant et non sur le côté et le rythme lent en général), ne se retrouvent pas non plus dans le Xiequan.

Au vu de tous ces éléments, il est plus probable que le Xiequan descende d’un lointain ancêtre du Taiji Quan, ancêtre datant d’avant la séparation des styles Zhaobao, Chen et Yang.

Et comme ce lointain ancêtre, commun au Taiji Quan et au Xiequan, avait une tournure bien plus Shaolin que les Taiji Quan actuels, on peut se demander s’il n’était pas tout simplement un enchaînement de Shaolin Quan...

23 janvier 2007

Un ancien traité de Taiji Quan

Le Taiji Quan lun est un des traités les plus fameux de Taiji Quan. Ce texte a été découvert au milieu du 19e siècle par Wu Chengqing, frère aîné de Wu Yuxiang (1812-1880). Il est attribué à un certain Wang Zongyue (fin du 18e siècle).

En voici une traduction nouvelle, plus littérale que littéraire...




 

太 極 拳 論

Taiji Quan lun

« Traité de Taiji Quan »





 

太 極 者 , 無 極 而 生 , 動 靜 之 機 , 陰 陽 之 母 也 。

Taiji zhe, wuji er sheng, dongjing zhi ji, Yinyang zhi mu ye.

« Qu’est-ce que le Taiji ? (Il) naît du Wuji, (il est) le mécanisme du mouvement et de l'immobilité, (il est) la mère du Yin et du Yang. »


Remarques : Le Wuji, principe philosophique chinois, symbolise le néant, l’indéfini. C’est ce qui précède l’engagement, le combat.

Dès que les mains sont en contact, les deux opposants forment un Taiji.

L’attente précède l’attaque, comme l’immobilité précède le mouvement.

Ji, que nous avons traduit ici par mécanisme, a aussi le sens de moteur, de secret et de stratagème.

Est-il utile d’ajouter que le Yin complète le Yang pour former un Taiji, de même que la défense de l’un complète l’attaque de l’autre sans s’y opposer ?




 

動 之 則 分 , 靜 之 則 合 。

Dong zhi ze fen, jing zhi ze he.

« (Si on) bouge alors (on est) séparé, (si on est) immobile alors (on est) uni. »

Remarques : L’expert est immobile (Jing), comme une araignée sur sa toile, à « l’écoute » de sa proie, en contact (He) avec elle. Dès que l’adversaire attaque, il se dévoile...

Sunzi (fin 5e-début 6e av. J-C), le plus grand stratège chinois, dans son Art de la guerre (Bing fa 兵法), recommandait : « Partir en dernier, arriver en premier » (Hou ren fa, xian ren zhi 後人發,先人至).

Les Budokas japonais écrivent plus simplement : « (Partir) après (arriver) avant » (Go no sen).

Sunzi ajoutait : « Pour être un bon stratège, (il faut) d’abord ne pas se laisser vaincre, ensuite attendre l’adversaire pour le vaincre » (Xi zhi shan zhan sheng zhe, xian wei bu ke sheng, yi dai di zhi ke sheng 昔之善戰者,先為不可勝,以待敵之可勝).

Au 16e siècle, Li Liangqin, spécialiste de la lance, professait de : « Garder l’immobilité (pour) attendre le mouvement » (Yi jing dai dong 以靜待動). Son élève, le général Yu Dayou (1503-1579), enseignait lui aussi cette Attente (Dai 待).

L’attente se retrouve également dans la « Boxe interne » (Neijia Quan), dans le Taiji Quan de la famille Chen, ainsi qu’à Shaolin. La famille Liu, qui s’adonne à la boxe de Shaolin depuis plusieurs générations, précise : « Occuper la porte centrale (et) attendre l’adversaire » (Caiding zhongmen dai di 踩定中門待敵).

Cette attente (Tai selon la prononciation On japonaise) est également connue des experts de sabre japonais. Akira Kurosawa (1910-1998) l’a notamment mise en scène dans ses Sept samouraïs (Shichinin no samourai). Lors d’un duel au bokken puis au sabre, le meilleur bretteur de la bande, Kyuzo (joué par Seiji Miyaguchi), attend l’attaque de son adversaire.

On ne sera pas étonné que l’Attente (Tai) des sabreurs japonais s’écrive avec le même caractère que l’Attente (Dai) de Sunzi, de Li Liangqin, de Yu Dayou, du Shaolin Quan, du Taiji Quan et du Neijia Quan...




 

無 過 不 及 , 隨 曲 就 伸 。

Wu guo bu ji, sui qu jiu shen.

« Sans précéder ni être en retard, (je) suis la flexion (ou) l’extension (de l’autre). »

Remarques : Si l'adversaire se replie, alors on s’étend. S’il s’étend, on se replie. On suit souplement son mouvement, en collant à lui.

Le « Canon de la boxe » (Quanjing), chant du Taiji Quan de la famille Chen détaille : « (Je) laisse faire, (je suis) la flexion (ou) l’extension, l’adversaire ne (peut) comprendre ; m’approchant et l’entourant je me conforme complètement à lui » (Zong fang qu shen ren mo zhi, zhu kao chan rao wo jie yi 縱放屈伸人莫知,諸靠纏繞我皆依).

Chen Changxing (1771-1853), expert de cette même famille, dans ses « Dits sur les règles de l'application martiale » (Yongwu yaoyan 用武要言), résume : « S’accorder (à) l’adversaire, le prendre comme guide » (Yu di yi de ren wei zhun 遇敵以得人為準).

Cette idée est déjà présente chez le général Yu Dayou, grand connaisseur de l’art du bâton : « Suivre le mouvement de l'adversaire, (pour) emprunter la force de l’adversaire » (Shun ren zhi shi, jie ren zhi li 順人之勢,借人之力).

Cela peut surprendre, mais cette idée est tout aussi présente dans le Shaolin Quan. C'est la Force cotonneuse (Mianjing 綿勁), citée par le « Canon de la boxe de Shaolin » (Shaolin quanpu 少林拳譜).




 

人 剛 我 柔 謂 之 走 , 我 順 人 背 謂 之 黏 。

Ren gang wo rou wei zhi zou, wo shun renbei wei zhi nian.

« Il (est) dur je (suis) souple (cela) se nomme se dérober, je suis (derrière) son dos (cela) se nomme coller. »

Remarques : On ne s’oppose pas à la poussée, on y cède.
On ne quitte pas l’adversaire, on le suit comme son ombre, comme si on poursuit un fuyard.




 

動 急 則 急 應 , 動 緩 則 緩 隨 。

Dong ji ze ji ying, dong huan ze huan sui.

« (Il) bouge vite alors (je) réagis vite, (il) bouge lentement alors (je) réagis lentement. »

Remarque : Si l’adversaire tire ou pousse lentement, il est dangereux d’essayer de le contrer immédiatement, car il peut utiliser alors notre force.

Il faut plutôt attendre, en l’obligeant à se révéler. Le singe ne cueille pas un fruit vert.


 

雖 變 化 萬 端 , 而 理 唯 一 貫 。

Sui bianhua wanduan, er li wei yiguan.

« Bien qu’ (il y ait) dix mille manières de transformer (l’attaque adverse), (il n'y a qu’) un seul principe (qui les) relie (toutes). »

Remarques : Yiguan littéralement est le fil qui relie les perles, ces perles étant bien sûr les dix mille manières. Yiguan symbolise le principe unique qui régit les réactions du stratège.



 

由 著 熟 而 漸 悟 懂 勁 , 由 懂 勁 而 階 及 神 明 。

You zhu shu er jian wu dongjing, you dongjing er jie ji shenming.

« Avec l'entraînement (on) arrive peu à peu à la compréhension du Dongjing, avec le Dongjing (on) parvient graduellement à la clarté divine. »

Remarques : Dans une première étape, on comprend les attaques adverses ; dans une seconde étape, cette compréhension gagne tout l’être en profondeur.

Le Dongjing est la « Force qui comprend » les mouvements de l’opposant.

La Clarté divine (Shenming) est l’état de conscience où l’esprit (Shen) devient parfaitement lucide (Ming).

 

 

然 非 用 力 之 久 , 不 能 豁 然 貫 通 焉 。

Ran fei yongli zhi jiu, buneng huoran guantong yan.
« C’est pourquoi (il faut s’exercer) longtemps (à) ne pas utiliser la force, (car on) ne peut comprendre tout cela rapidement. »

 

Remarque : Lorsque tout un chacun est poussé, son réflexe est de résister... et le plus puissant des deux antagonistes l’emporte.
L’expert, lui, s’entraîne à ne pas s’opposer, afin d’emprunter la force adverse.

 

 

虛 領 頂 勁 , 氣 沉 丹 田 , 不 偏 不 倚 , 忽 隱 忽 現 。

Xu ling ding jing, qi chen Dantian, bupian buyi, huyin huxian.
« Souplement diriger la force vers le haut, descendre l’énergie dans le Dantian, sans se pencher ni s’appuyer (sur l’adversaire), soudain on cache, soudain on montre. »

 

Remarques : L’historien Tang Hao 唐豪 (1896-1959) a remarqué que tout le début de ce traité était inspiré par un texte philosophique de Zhou Dunyi 周敦頤 (1017-1073) paru en 1757 dans « Les œuvres complètes de Maître Zhou » (Zhouzi quan shu 周子全書).
Voici ces passages : « (D’abord) le Wuji puis le Taiji... le Taiji engendre le Yin et le Yang... sans le précéder ni être en retard... sans s’écarter ni dévier... le Yang est le mouvement et le Yin est l’union (He), (c’est) pourquoi le jour Yang est changeant et le jour Yin est uni (He)... le Yin et le Yang ne sont pas séparables, mutuellement (ils) s’harmonisent merveilleusement » (Wuji er Taiji 無極而太極... Taiji sheng Yinyang 太極生陰陽... wu guo bu ji 無過不及... bu pian bu yi 不偏不倚... Yang zhu dong er Yin zhu he, gu Yang yue bian Yin yue he 陽主動而陰主合 , 故陽曰變而陰曰合... Yinyang bu xiang li, you you xiangxu xianghu zhi miao 陰陽不相離 , 又有相須相互之妙).

Le buste est décontracté mais vertical (Xu ling ding jing), le centre de gravité est bas (Qi chen Dantian).
Le Champ de cinabre (Dantian), foyer de l’Energie (Qi), se trouve dans le ventre, à quelques centimètres sous le nombril. Ce point correspond au centre de gravité. Biomécaniquement, le Dantian est un endroit où l’on va recevoir et amplifier l’énergie cinétique...

On ne peut rester immobile à attendre l’adversaire, que si l’on est parfaitement équilibré. C’est-à-dire que le buste est droit, que la tête est droite, que le centre de gravité est bas et que l’aplomb de ce dernier tombe au centre de notre polygone de sustentation. On doit toutefois rester souple, pour pouvoir réagir promptement à l’attaque.
De plus, maintenir le buste droit permet de pivoter aisément sur notre axe vertical de rotation (l’axe qui passe par le sommet de notre crâne, notre tronc et notre centre de gravité), telle une roue horizontale.

L’expert attend l’attaque, immobile, rien ne trahit ses intentions. Le ciel semble serein. L’assaillant passe à l’offensive, il est aussitôt surpris par un coup de tonnerre qui déchire le ciel...

 

 

左 重 則 左 虛 , 右 重 則 右 杳 。

Zuo zhong ze zuo xu, you zhong ze you yao.
« (Il exerce) une pression à gauche (je) vide la gauche, (il exerce) une pression à droite (je) vide la droite. »

 

Remarques : Ceci est l’équivalent de la stratégie fondamentale de l’art de la lance : si un assaillant attaque avec la technique Lan (mouvement dans le sens des aiguilles d’une montre, afin de presser latéralement), on répond immédiatement par la technique Na (mouvement dans le sens inverse des aiguilles d’une montre). S’il attaque avec Na, on répond par Lan.
Bref, si l’adversaire presse sur le côté, au lieu de lui résister, on cède, pour presser dans le même sens que lui. L’adversaire, perdant brusquement le point d’application de sa force, se trouve emporté par sa propre énergie cinétique.

L’entraînement à la stratégie de la lance est souvent illustré dans les films de Liu Jialiang (né en 1935), à la fois pratiquant de Hongjia et réalisateur de Hongkong. Liu Jialiang a eu les honneurs des Cahiers du cinéma en 1984.
Dans son film Lu Acai et Huang Feihong (Lu Acai yu Huang Feihong, distribué en France sous le titre du Combat des maîtres), le jeune Huang Feihong (interprété par Liu Jiahui), sous la direction de Lu Acai (joué par Chen Guantai), s’entraîne inlassablement, avec la pointe de sa lance, à tourner autour d’un frêle bol tenu verticalement, en essayant de ne pas le casser...

 

 

仰 之 則 彌 高 , 俯 之 則 彌 深 。

Yang zhi ze migao, fu zhi ze mishen.
« (S’il) presse vers le haut alors (je l'emmène encore) plus haut, (s’il) presse vers le bas alors (je l'amène encore) plus bas. »

 

Remarques : Ce couple Yang/Fu (presser vers le haut ou vers le bas) fait partie du vocabulaire traditionnel des arts martiaux chinois.
Cheng Chongdou (1561-1636), dans sa pratique de la lance, oppose la main en supination (Yangshou 仰手), à celle en pronation (Fushou 覆手), le caractère Fu (tourner) étant homophone de celui utilisé dans le Taiji Quan lun.
En Bagua Zhang, existe aussi la paume qui presse vers le haut (Yangzhang 仰掌) et celle qui presse vers le bas (Fuzhang 俯掌), avec, cette fois-ci, le même caractère Fu qu’ici.

 

 

進 之 則 愈 長 , 退 之 則 愈 促 。

Jin zhi ze yuchang, tui zhi ze yucu.
« (S’il) avance alors la distance (qui nous sépare) augmente, (s’il) recule alors la distance (qui nous sépare) diminue. »

 

Remarques : On adhère sans force. Si l’opposant tente d’augmenter la pression, en appuyant davantage, il n’y arrive pas, car on cède. S’il veut s’éloigner pour se décoller, il n’y arrive pas non plus, car on colle.

Les trois phrases précédentes, de 10 caractères chacune, traitent successivement des trois dimensions spatiales (gauche/droite, haut/bas, avant/arrière).

Les 30 derniers caractères, que nous venons de traduire, rappellent un passage du traité d’épée du chevalier Bi Kun 畢坤 (14e siècle).

 

 

一 羽 不 能 加 , 蠅 蟲 不 能 落 。

Yi yu buneng jia, yingchong buneng luo.
« Une plume ne peut s’ajouter, une mouche ne peut se poser. »

 

Remarque : Les mains réagissent avec sensibilité à la pression adverse. La réaction est mesurée à l’action.

 

 

人 不 知 我 , 我 獨 知 人 。

Ren buzhi wo, wo duzhi ren.
« Il ne me connaît pas, je suis seul à le connaître. »

 

Remarque : Selon l’ « Entretien entre (l’empereur) Tang Taizong et Monsieur Li Wei » (Tang Taizong Li Wei gong wendui 唐太宗李衛公問對), l’un des sept traités classiques de la stratégie chinoise : « Le bon stratège commence par ne point se laisser deviner, ainsi l’adversaire se trompe. » (Shan yong bing zhe, xian wei bu ke ce, ze di guai qi suo zhi ye 善用兵者,先為不可測,則敵乖其所之也).

La Force qui comprend (Dongjing) cherche, bien entendu, à ne pas être comprise...

 

 

英 雄 所 向 無 敵 , 蓋 皆 由 此 而 及 也 。

Yingxiong suo xiang wudi, gai jie youci er ji ye.
« Le héros tend à être invincible, grâce à tout ce qui a été dit plus haut (on y) parvient. »

 

Remarque : Il s’agit d’une allusion à l’aphorisme célèbre du stratège Sunzi : « Se connaître et connaître l’autre, alors cent combats sans défaite » (Zhi bi zhi ji, baizhan budai 知彼知己,百戰不殆).

 


 

斯 技 旁 門 甚 多 , 雖 勢 有 區 別 , 概 不 外 壯 欺 弱 , 慢 讓 快 耳 。

Si ji pangmen shenduo, sui shi you qubie, gai buwai zhuang qi ruo, man rang kuai er.
« Les techniques (des arts martiaux) sont innombrables, (et) bien qu'elles soient différentes, elles ne font pas exception (au fait que) le fort domine le faible, (que) le lent soit dominé par le rapide. »

 

Remarque : Ceux, qui ignorent la Force qui comprend (Dongjing), ne font que comparer leur force et leur vitesse ; le plus puissant et le plus véloce l’emportant sur le moins vif et le plus chétif.

 

 

有 力 打 無 力 , 手 慢 讓 手 快 , 是 皆 先 天 自 然 之 能 , 非 關 學 力 而 有 為 也 。

You li da wu li, shou man rang shou kuai, shi jie xiantian ziran zhi neng, fei guan xue li er you wei ye.
« (Lorsque) le fort bat le faible, (que) la main lente est dominé par la main rapide, cela (n)’est (qu’une) capacité innée, (qui) n'a rien à voir avec l'apprentissage de la force (raffinée). »

 

Remarque : L’auteur oppose la force brute, innée, à la force raffinée qui est le résultat d’un apprentissage et d’une compréhension profonde.

 

 

察 四 兩 撥 千 斤 之 句 , 顯 非 力 勝 , 觀 耄 耋 能 禦 眾 之 形 , 快 何 能 為 。

Cha Si liang bo qian jin zhi gou, xian fei li sheng, guan maodie neng yu zhong zhi xing, kuai he neng wei.
« (Si l'on) examine le dicton "quatre liang l'emportent sur mille livres", (il est) manifeste (que) le faible gagne, (d’ailleurs quand on voit) un vieillard tenir tête à une foule, est-ce grâce à la vitesse ? »

 

Remarques : 4 liang correspondent à 500 grammes, c’est-à-dire à mille fois moins que 1 000 livres.
Lorsque 4 liang l'emportent sur 1 000 livres, un gouffre s’ouvre brusquement sous les pieds de l’adversaire qui tombe emporté par son propre élan.
Un vieillard, malgré les ans, est capable de : « Pousser un bateau dans le sens du courant » (Shun shui tui zhou 順水推舟).

 

 

立 如 平 準 , 活 似 車 輪 。

Li ru pingzhun, huo si chelun.
« Debout comme une balance en équilibre, (mais) mobiles comme une roue. »

 

Remarques : La balance et ses deux plateaux symbolisent les deux lutteurs en contact. Le fléau vertical de la balance, bien qu’en équilibre, peut à tous moments tourner sur son axe, telle une roue.

Dès que l’on pousse une roue, elle se meut, roulant à la vitesse à laquelle on l’a poussée.

Et cette image de la roue qui tourne peut faire songer à une autre... celle du retour de manivelle.

 

 

偏 沉 則 隨 , 雙 重 則 滯 。

Pianchen ze sui, shuangzhong ze zhi.
(Si la balance) penche d’un côté alors (je) suis (ce mouvement), (si l’on reste tel) deux poids (lourds) alors (nous sommes) bloqués. »


Remarques : Les deux phrases précédentes, composées de 8 caractères chacune, sont liées.

L’image est la suivante, si on place 500 g dans chaque plateau d’une balance. Cette dernière reste en équilibre. Puis, si subitement on ajoute 999 livres d’un côté, le fléau tourne immédiatement sur son axe et le plateau tombe avec fracas.

En revanche, si, pour compenser, on ajoute aussitôt 999 livres sur l’autre plateau, la balance conserve son équilibre. Les « Deux poids » (Shuangzhong) s’annihilent.

 

 

每 見 數 年 純 功 , 不 能 運 化 者 , 率 皆 自 為 人 制 , 雙 重 之 病 未 悟 耳 。

Mei jian shunian chungong, buneng yunhua zhe, shuai jie zi wei ren zhi, shuangzhong zhi bing wei wu er.
« Lorsque (l'on) voit (quelqu'un qui pratique depuis de) longues années, (qu'il) ne peut transformer (l’attaque), (qu’il) se laisse dominer par l'adversaire, (c'est qu'il) n'a pas compris (ce) défaut des deux poids (lourds). »

 

Remarques : Il faut d’abord céder, pour ensuite contraindre. Lorsque deux débutants s’affrontent, on croirait voir deux jeunes taureaux.

 

 

欲 避 此 病 , 須 知 陰 陽 ﹕ 黏 即 是 走 , 走 即 是 黏 ; 陰 不 離 陽 , 陽 不 離 陰 ; 陰 陽 相 濟 , 方 為 懂 勁 。

Yu bi ci bing, xu zhi Yinyang : nian jishi zou, zou jishi nian ; Yin bu li Yang ; Yang bu li Yin ; Yinyang xiang ji, fang wei dongjing.

« (Si on) veut éviter ce défaut, il faut connaître (le principe du) Yin et (du) Yang : coller c’est se dérober, se dérober c’est coller ; le Yin va avec le Yang, le Yang va avec le Yin ; le Yin et le Yang se secourent l’un l’autre, (ceci est) le moyen d’acquérir la Force qui comprend. »

 

Remarque : Plus haut, l’auteur a déjà mis en parallèle : Coller (Nian) et se Dérober (Zou), dans le passage : « Il (est) dur je (suis) souple (cela) se nomme se dérober, je suis (derrière) son dos (cela) se nomme coller. »

Si l’adversaire tente de tirer, on cède en Collant (Nian) ; s’il tente de pousser, on cède en se dérobant (Zou). Les deux actions se complètent et, au bout du compte, se ressemblent, il s’agit toujours de céder souplement en restant collé...

 

 

懂 勁 後 愈 練 愈 精 , 默 識 揣 摩 ,漸 至 從 心 所 欲 。

Dongjing hou yu lian yu jing, moshi chuaimo, jian zhi congxin suoyu.
« (Avec) la Force qui comprend plus on s’exerce plus on devient subtil, cachez (ce secret et) approfondissez (le), jusqu'à (l’utiliser) progressivement à volonté. »

 

Remarques : Plus encore que leurs techniques, les experts en arts martiaux répugnaient à livrer leurs secrets biomécaniques et stratégiques qui donnent leur sens à ces techniques.
Certains de ces secrets sont aujourd’hui quasiment tombés dans l’oubli.

 

 

本 是 捨 己 從 人 , 多 誤 捨 近 求 遠 。

Ben shi sheji congren, duo wu shejin qiuyuan ».
« Il est primordial de renoncer à soi (pour) suivre l’autre, plus d’un (s’y est) trompé (en) renonçant à ce qui est près pour rechercher ce qui est loin. »

 

Remarque : Lorsque l’on veut utiliser la force de l’attaquant, on se livre parfois à des manoeuvres compliquées ; on lâche notre saisie afin d’en reprendre une autre qui nous paraît plus prometteuse ; on court après l’adversaire. Pendant ce temps, ce dernier se récupère.
La vérité est plus simple, l’autre est collé à nous, pourquoi le lâcher ? Il faut renoncer à ce qui est loin et compliqué, pour profiter de ce qui est simple et à portée de main.

 

 

所 謂 差 之 毫 釐 , 謬 之 千 里 , 學 者 不 可 不 詳 辨 焉 !

Suowei cha zhi haoli, miu zhi qian li, xuezhe buke buxiang bian yan !
« (C’est) ce qu’on appelle l’erreur d’un cheveu, (qui devient) une erreur de mille li, comment le lettré pourrait-il expliquer parfaitement (ceci) ! »

 

Remarques : L’erreur d’un cheveu (qui devient) une erreur de mille li est une paraphrase de l’expression précédente.

La simplicité et la profondeur de ce principe stratégique est une compréhension qui est au delà des mots.

 

 

是 謂 論 。

Shi wei lun.
« Ainsi se termine le traité. »

 

 


Ce texte décrit la Force qui comprend (Dongjing), lors d’une confrontation de Poussées de mains (Tuishou).
Son importance est d’autant plus grande que ce concept stratégique n’est nullement limité au Taiji Quan. Il s’applique tout autant aux Exercices de mains collantes (Nianshou), à la Lutte chinoise (Shuai jiao), à l’art des Clefs (Qinna), de la lance, du bâton, de l’épée, etc.

Et même, plus généralement, à tout affrontement stratégique...

Afin que l’on appréhende mieux la richesse des arts martiaux chinois, il faut ajouter que ce Dongjing n’est qu’un principe parmi des dizaines d’autres...
Le stratège les combine, tel un dragon qui virevolte à la surprise de tous.


© Traduction Thomas Dufresne, Jacques Nguyên, 2007.
Tous droits réservés.

20 janvier 2007

Le Tuishou

On peut diviser les distances de combat en deux groupes, les distances courtes (Duanda) et les distances longues (Changquan).

Dans le premier groupe, les assaillants sont en contact, dans le second, ils ne le sont pas encore.

Le premier groupe est si important que le Taiji Quan lui consacre un entraînement spécial : la Poussée de mains (Tuishou). On s’y entraîne à déséquilibrer l’adversaire, essentiellement en le tirant (Lu) ou en le poussant (An).

Biomécaniquement, pour pousser efficacement, il faut exercer une force rectiligne dont le vecteur traverse le centre de gravité de la personne poussée.

Lorsque l'on tire, au contraire, il faut éviter ou contourner notre propre centre de gravité. Il est recommandé même d’éviter ou de contourner l’axe vertical qui traverse notre tronc, axe qui passe grosso modo par ce centre de gravité.

Bien entendu, cela se fait en tournant autour de cet axe. Idéalement, notre axe de rotation est l’axe du combat, autour duquel les deux opposants tournent. Ceci est particulièrement visible dans l’Aïkido.

L’exercice de Poussée de mains (Tuishou) du Taiji Quan est une alternance, où l’un pousse vers le centre de gravité de l’autre, tandis que l’autre, pour se défendre, dévie cette force vers le côté, en tirant. Le premier peut alors chercher à réorienter le vecteur de force, vers le centre de gravité de l’autre, par exemple en poussant avec l’épaule (Kao)...

Lorsqu’une action longitudinale (pousser ou tirer) n’est pas suffisante, il faut déséquilibrer latéralement. Pour ce faire, on se sert en général d’un couple de force, couple de force sur lequel il y aurait tout autant à disserter.

14 décembre 2006

L’origine du Taiji Quan et son rapport avec le Shaolin Quan

En 1994, dans notre livre « Taiji Quan art martial ancien de la famille Chen » (aujourd’hui épuisé), nous proposions une étude historique nouvelle sur l’origine du Taiji Quan.

Voici, légèrement résumé, ce que nous écrivions alors :

Pour essayer d'être plus clair, nous allons articuler cette discussion en huit points. Précisons que l'hypothèse sur l'origine du Taiji Quan, présentée ici, est inédite. Ce n'est qu'une hypothèse, mais elle a le mérite de s'appuyer sur des faits vérifiables.

1er point

C'est seulement à partir de la génération de Chen Wangting (17e siècle), que les Chen commencent à être cités pour leur dextérité martiale. Chen Wangting serait-il alors le créateur du Taiji Quan, ou le tiendrait-il d'un autre boxeur étranger à la famille ?

2e point

Le lettré Tang Hao (1897-1959) qui fit des recherches à Chenjia Gou (le village de la famille Chen), a formulé l'hypothèse que le Taiji Quan aurait été mis au point par Chen Wangting (1600-1680), à partir notamment du traité du Général Qi Jiguang (1528-1588), le Jixiao Xinshu. En effet, ce livre contient 32 techniques illustrées, synthèse de 16 boxes différentes de la fin de la dynastie des Ming (1368-1644), or 29 des 32 noms de ces techniques se retrouvent dans les sept enchaînements anciens du Taiji Quan. De plus, certaines de ces techniques ressemblent à celles du Taiji Quan.

Il nous semble qu'ainsi, Tang Hao a démontré clairement, que le Taiji Quan a été fortement influencé par la boxe de Qi Jiguang, mais il n'a peut-être pas démontré que l'influence fut directe... Chen Wangting n'a-t-il eu en main que le livre de Qi Jiguang, ou a-t-il appris d'un autre boxeur qui descendrait directement ou indirectement de Qi Jiguang ?

3e point

A une cinquantaine de kilomètres du village des Chen se trouve le Monastère Shaolin (Monastère de la "Petite forêt"), rendu célèbre en Occident par une série hollywoodienne et des films commerciaux de Hong-Kong. Hélas aujourd'hui, le temple est peuplé d'athlètes et d’acrobates qui vendent une boxe de Shaolin modernisée à l'usage des touristes passionnés, fortunés et parfois un peu naïfs... Pourtant ce monastère connut de beaux jours et sa boxe fut réputée.

Si l'on compare les enchaînements actuels du Shaolin Quan (la Boxe de Shaolin), enfin ceux qui semblent les plus anciens, avec ceux du Taiji Quan, on est frappé par la ressemblance. Plus d'une trentaine de techniques et un enchaînement (Paochui), portent en effet le même nom.

Aujourd'hui d'innombrables livres paraissent. Mais autrefois les noms des techniques n'étaient pas révélés aussi facilement au grand public, il fallait apprendre cette boxe pour les connaître.

Nous soulignons ceci, afin d'expliquer que souvent des noms identiques sont l'indice que les boxes sont proches parentes !

Au hasard de nos investigations, nous avons ainsi relevé, parsemés dans les trois quarts des enchaînements de Shaolin, les noms de techniques de Taiji Quan suivants :

- Baihe Liang Chi (La grue blanche déploie ses ailes),
- Bai Jiao (Balayer le pied),
- Bai She Tu Xin (Le serpent blanc dardant sa langue),
- Bai Yuan Xian Guo (Le singe blanc offre un fruit),
- Baiyun Gai Ding (Les nuages blancs couvrent les sommets),
- Chao Tian (Se dresser vers le ciel),
- Chong (Attaquer),
- Da Hu (Frapper le tigre),
- Dan Bian (Le fouet),
- Dang Tou Pao (Tirer à bout portant avec un canon),
- Er Qi Jiao (Donner un coup de pied sauté),
- Fan Shen (Se retourner),
- Fu Hu (Subjuguer le tigre),
- Haidi Lao Yue (Sortir la lune du fond de la mer),
- Huai Zhong Pao Yue (Porter la lune dans son sein),
- Huang Long San Jiao Sui (Le dragon jaune agite l'eau trois fois),
- Jingang Daodui (Jingang martèle),
- Jin Ji Du Li (Le coq d'or debout sur une patte),
- Kua Hu (Chevaucher le tigre),
- Lan Zhou (Bloquer avec les coudes),
- Lian Huan Pao (Les trois coups de canon qui s'enchaînent),
- Niaolong Bai Wei (L'oiseau-dragon remue la queue),
- Qi Xing (Former les sept étoiles),
- Que Di Long (Le dragon joue à terre tel un moineau),
- Tongzi Bai Guanyin (L'enfant qui vénère Guanyin),
- Saotang Tui (Balayer avec la jambe),
- Shi Zhi Jiao (Croiser le pied),
- Shi Zhi Shou (Croiser les mains),
- Wan Gong She Hu (Tirer à l'arc sur le tigre),
- Weituo Xian Gan (Weituo montre sa perche),
- Xianren Zhi Lu (Le dieu qui montre le chemin du doigt),
- Xie Xing (Avancée oblique),
- Xuan Feng Jiao (Le coup de pied cyclone),
- Yanzi Zhuo (L'hirondelle picore),
- Ye Ma Fen Zong (La crinière du cheval sauvage séparée par le vent),
- Yu Nü Chuan Suo (La fille de jade lance la navette),
- Zhan Shou (La main coupante),
- etc.

Comme on le voit, la liste est longue. De plus, la théorie des deux boxes, présente quelques analogies (le Chansi, le Fajing, l'alternance du Gang et le Rou, les quatre Liang qui gouvernent mille livres, etc.) Bref, le Taiji Quan et le Shaolin Quan ont l'air d'être d'assez proches cousins.

Notons enfin que plusieurs des techniques que nous venons de citer, se trouvent également dans le livre de Qi Jiguang.

Nous pouvons conclure de cela qu'il semblerait que les boxes de Shaolin et de Chenjia Gou ont toutes deux subi l'influence de celle de Qi Jiguang, et que, vu la proximité du Mont Song et de Chenjia Gou, l'une des deux boxes soit à l'origine de l'autre ou tout du moins l'ait fortement transformée.

4e point

Les noms de Jingang et de Weituo (deux divinités protectrices, gardiennes des temples bouddhiques) qui sont donnés par exemple : au deuxième mouvement du Diyilu ("Premier enchaînement" du style Chen) et au 47e mouvement du Taiji Danjian (l'Epée du Taiji), ainsi que celui de Guanyin (une déesse très importante du panthéon bouddhique) qui est donné à la deuxième posture du Taiji Shisan Gan (l'enchaînement des "Treize techniques de la perche du Taiji"), ne correspondent pas à des techniques de la boxe de Qi Jiguang.

Ces trois divinités bouddhiques pourraient donc laisser penser que le Taiji Quan est un héritier du vieux Shaolin Quan, lui-même héritier de l'art du Général Qi. La moitié environ, des enchaînements de Shaolin contiennent en effet, au moins une technique de Qi Jiguang.

Rappelons que le Monastère Shaolin avait pour coutume d'inviter les experts de Wushu (Art martial), afin d'enrichir ses connaissances.

Mais poursuivons...

5e point

L'historien du Wushu, Matsuta Takachi, dans son "Historique des arts martiaux chinois" (Zhongguo Wushu Shilue), parle lui aussi de ressemblances troublantes. Il cite le Hongquan (le Poing rouge) qui était jadis le quatrième enchaînement de Taiji Quan, et le met en rapport avec le Hongquan, son homonyme, pratiqué au Monastère Shaolin.

De plus, dans un enchaînement de bâton du style de Chen Wangting, le Panluo Bang et dans un enchaînement de bâton du Monastère Shaolin, Matsuta Takachi trouve quatre techniques analogues et ayant le même nom :

- Chaotianshi, la Posture dressée vers le ciel,
- Danshanshi, la Posture du Mont Dan,
- Disheshi, la Posture du serpent rampant,
- Kuajianshi, la Posture où l'on enjambe l'épée.

6e point

Ce que Matsuta Takachi ne précise pas, c'est que deux de ces techniques de bâton (Chaotianshi et Kuajianshi) se retrouvent aussi dans le traité de la lance de Qi Jiguang ; et surtout que ces quatre techniques se trouvent dans un traité de Cheng Chongdou, paru en 1621 : Shaolin Gunfa Chan Zong, les "Explications des vrais techniques du bâton de Shaolin" !

Alors cela signifierait-il, que c'est le Shaolin Quan qui a influencé le Taiji Quan, puisque Cheng Chongdou est né une quarantaine d'années avant Chen Wangting ?

7e point

En 1984, un livre paru dans la province du Henan, et intitulé Shaolin Wushu, présente un enchaînement dénommé Xinyiquan (la Boxe du coeur et de la pensée, à ne pas confondre avec la "Boxe de la forme et de l'esprit" : Xingyi Quan). Jia Zhaoxuan y déclare que sa famille détient cette boxe depuis un de ses ancêtres : Jia Shuwang, qui apprit le Shaolin Quan au monastère.

Jia Zhaoxuan explique que son ancêtre a recopié un vieux manuscrit au monastère, manuscrit qui décrivait cet enchaînement. Tout ceci se passait sous le règne de l'Empereur Kangxi (1662-1723), c'est-à-dire autour de l'époque de la mort de Chen Wangting. Hélas la bibliothèque de Shaolin a brûlé lors de l'incendie du temple en 1928. Or ce Xinyi Quan présente la même succession de techniques que le Diyilu (le Premier enchaînement) du Taiji Quan et les noms mêmes des techniques présentent des analogies certaines et nombreuses !


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Enchaînement Xinyiquan de la famille Jia







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Jingang martèle (Jingang Daodui) du Xinyiquan de la famille Jia

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Jingang martèle (Jingang Daodui) par Chen Zhaokui (1927-1981) d'après Chen shi Taiji Quan de Shen Jiazhen, Beijing, 1963

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Technique de frapper le tigre (Da hu shi) du Xinyiquan

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Courber le dos et faire Kao (Bei zhe kao) par Chen Zhaokui

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Technique basse (Xia shi) du Xinyiquan

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Tomber en croix (Die cha) par Chen Zhaokui

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Les bras en croix, donner un coup de pied (Shi zi jiao) du Xinyiquan

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Les bras en croix, balayer le lotus (Shi zi bai lian) par Chen Zhaokui





Lorsque, à la publication de ce livre chinois, nous avons fait cette découverte, nous avons été frappés entre autres, par plusieurs faits.

- Premièrement, les sites de Shaolin et de Chenjia Gou, ne sont distants que de deux jours de marche. D'ailleurs Chen Wangting s'y est rendu, pour tenter de raisonner son ami Li Jiyu, au 17e siècle.

- Deuxièmement, le Shaolin Quan et le Taiji Quan du style Chen, contrairement à ce que l'on pense habituellement, ont une théorie, des techniques et des enchaînements présentant de troublantes similitudes.

- Troisièmement, le Shaolin Quan, comme le Taiji Quan, doit beaucoup à la boxe du Général Qi Jiguang.

- Quatrièmement, certaines techniques existent ou existaient, dans les deux boxes, mais ne se retrouvent pas dans la boxe de Qi...

8e point

Le Monastère Shaolin a participé à la lutte contre les "Pirates japonais" (Wo kou) au 16e siècle, en envoyant sur place des moines guerriers. Vu les mauvais résultats obtenus par l'armée chinoise et les champions de Wushu (Art martial), le Général Qi fut appelé pour sauver la situation. Les techniques du général et de son armée, réussirent, là où d'autres avaient échoué. La boxe de Qi Jiguang fut alors entourée d'un légitime prestige et il est tout à fait possible que des moines de Shaolin aient pu s'initier à l'art du Général Qi.


Conclusion à ces huit points

Tout ceci, nous amène à penser, que sous l'influence de la boxe du Général Qi Jiguang (1528-1588), le Shaolin Quan (la Boxe de Shaolin) fut profondément réorganisé.

Puis quelques années plus tard, Chen Wangting (1600-1680), Jiang Fa ou un autre, apprit ce nouveau Shaolin Quan, et l'apporta au village des Chen.

Enfin, le Shaolin Quan fut ensuite et plusieurs fois, complètement réorganisé.

Bref, si notre hypothèse est la bonne, le Taiji Quan descendrait de la boxe de Qi, par l'intermédiaire du Shaolin Quan du 16e ou 17e siècle.

Bien sûr le Taiji Quan a dû subir d'autres influences et les Chen n'ont pas manqué de modifier leur art pour tenter de l'améliorer.

Toujours est-il que la Boxe du Taiji recèle des caractéristiques que l'on ne retrouve ni chez Qi Jiguang, ni chez les Jia, ni au Monastère Shaolin, comme l'alternance très marquée de la lenteur et de la rapidité, qui font de lui, un art original, bien qu'évidemment héritier du Wushu (Art martial) de l'ancienne Chine.

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Depuis, nous avons fait d'autres découvertes que nous espérons publier un jour.

Quant à l'historien Matsuta Takachi, au moment même où nous publions ceci en France, il sortait lui aussi, dans la revue japonaise Wushu, une étude sur les liens historiques entre le Shaolin Quan et le Taiji Quan...

13 novembre 2006

Qui Jacques Nguyên

Qui Jacques Nguyên, né en 1959, a commencé son étude des arts martiaux chinois et vietnamiens en 1968 à Saïgon. Il s’est installé en France en 1976.

Les principaux styles qu’il pratique sont : Trung Sơn, Võ Lâm, Boxe Libre (Võ Tự Do), style Chen et Yang du Taiji Quan 陳氏太極拳,楊氏太極拳, Qixing Tanglang Quan 七星螳螂拳, Yongchun 詠春, Hongjia 洪家, armes, Neigong 內功.

Il est acuponcteur et docteur en médecine.

Thomas Dufresne

Thomas Dufresne, né en 1958, a commencé par étudier le Ju-Jitsu 柔術 avec son père, un élève de Mikinosuke Kawaishi (川石酒造之助, 1899-1969).

A partir de 1975, il s’est consacré aux arts martiaux chinois : style Chen et Xiaozhoutian du Taiji Quan 陳氏太極拳,小周天太極拳, Shaolin Quan 少林拳, Shuai Jiao 摔交, Qinna 擒拿, Sanshou 散手, armes, Neigong 內功, etc.

 

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Il est également auteur d'ouvrages et d’articles sur l’histoire de Paris (voir : http://secretsdeparis.blogspirit.com/bibliographie/) et l'histoire de l'art.

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