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11 décembre 2011

Un pionnier du Taiji Quan en France

 

Certains subissent les feux de la rampe et d'autres restent volontairement dans l'ombre. Ching Kam (程健 Cheng Jian en Pinyin 1916-1996) fut de ceux-là, il n'était connu que d'une poignée de pratiquants et pourtant ce fut un des pionniers du Taiji Quan en France, qu'il a enseigné dès 1970.



Bien qu’il ait appris les arts martiaux avec des professeurs de l'ethnie Hui (回族, la principale ethnie musulmane chinoise), Ching Kam appartient à l'ethnie Han (漢族, l'ethnie la plus nombreuse en Chine).
Il naît en 1916 dans la province du Henan (河南). Dès l'âge de 13 ans il apprend le Liuhe Quan (六合拳, la "Boxe des six combinaisons") auprès de Lao Hukou (老湖口), dans la province du Hebei (河北). Ce Liuhe Quan est un art pratiqué par les Hui. Avec le temps, Ching Kam oubliera cette boxe et ne l'enseignera donc pas en France.
Le jeune homme s'entraîne le matin, travaille au champ l'après-midi, puis s'entraîne encore et plus longuement, à la fin de la journée. Peu avant sa mort, il regrettera que les temps aient changé, et que les jeunes n'aient plus le loisir de s'entraîner autant. L'homme moderne consacre beaucoup de temps à l'exercice de son métier. A cet état de fait il attribuera la baisse du niveau général des pratiquants actuels. Fait qui n'étonnera peut-être pas nos lecteurs, Ching Kam précisera qu'à cette époque, on ne parle pas encore de "Kung Fu" (功夫) pour désigner les arts martiaux chinois.
En ces années 1930, Ching s'entraîne longuement au Tantui (彈腿, la "Jambe élastique"). C'est pour les Hui, l'enchaînement de boxe de base sur lequel tout jeune doit transpirer. Ce Tantui consiste en dix techniques de base que l'on répète et répète encore. Il est destiné à fortifier le corps des jeunes, ainsi qu'à leur enseigner les postures de base. Naje, un élève de Ching Kam, a publié sur Dailymotion une vidéo de Ching Kam âgé faisant cet enchaînement (http://www.dailymotion.com/video/xmso33_tantui-la-jambe-...).


Puis Ching Kam émigre à Kunming (昆明), la capitale de la province du Yunnan (雲南), dans le sud-ouest de la Chine. Les Occidentaux n'ignorent pas le nom de cette province grâce au fameux "thé Yunnan". Mais revenons à la ville de Kunming, où le jeune Ching Kam fait la connaissance du Musulman Mai Zhusan (買祝三, 1893-1960), un professeur réputé, originaire de la province du Henan. Sa famille est constituée de militaires et de politiques. Mai lui enseigne le Xinyi Quan (心意拳, la "Boxe du coeur et de l'esprit"), le Cha Quan (查拳, la "Boxe de Monsieur Cha"), le Chunyangjian (純陽劍, "l'Epée du pur Yang"), ainsi qu'un style très rare de Taiji Quan (太極拳) : le Xiaozhoutian (小周天, la "Petite révolution") en 37 techniques.
Le Xinyi Quan est une des trois branches du Xingyi Quan (形意拳 ou "Hsing I Chuan", la "boxe du corps et de l'esprit"). Mai Zhusan la tient du célèbre boxeur et convoyeur de fonds : Lu Haogao (慮蒿高, mort en 1962), ainsi que de Yang Shupu (楊樹浦). Ces derniers ont enseigné leur art à Mai, dans une mosquée à Shanghai (上海) en 1931. Quant au Cha Quan c'est également une boxe musulmane, elle se décompose en dix enchaînements à mains nues et en nombre d'autres avec armes (sabre, bâton, lance, etc.). Mai Zhusan comme beaucoup de Musulmans, la pratique depuis sa prime jeunesse.
Hélas, le professeur de Ching Kam ne se souvient plus du nom du vieil homme qui lui montra ce Taiji Quan en 37 techniques. Un manuscrit aurait existé naguère sur ce style, mais il aurait été perdu.

 

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Ching Kam donne également des démonstrations fabuleuses : un autobus lui passe sur le corps, on lui brise de lourdes pierres sur le ventre, etc. Mais ces exercices destinés aux spectacles n'apporte rien à sa pratique personnelle et il les délaisse.
A cette époque, la pratique régulière et assidue des arts martiaux violents laisse le jeune homme haletant, il a l'impression de perdre davantage de force qu'il n'en gagne. Aussi il se tourne définitivement vers la pratique du Taiji Quan qui lui donne santé et bien-être.
Dans ces années là, le Taiji Quan est déjà bien répandu en Chine et à Kunming. Ching Kam côtoie les styles Yang, Wu et Sun du Taiji Quan.


Ching Kam va donc dorénavant se consacrer au style de Taiji Quan de son professeur, style qu'il considère comme le plus intéressant. Jusqu'à sa mort, il le pratiquera avec régularité associant cette pratique à celle du Neigong (內功, les "Exercices internes").
Ching Kam est alors un militaire de la garde de Jiang Jieshi (蔣介石, ou Chang Kai-chek). Aussi le 8 février 1949, Ching Kam part se réfugier à Hong-Kong (香港). Là-bas, il se lie d'amitié avec deux Chinois, un de la province du Shandong (山東) et l'autre de la province du Guangdong (廣東), avec lesquels il échange ses connaissances.
Ainsi avec ses amis, Ching Kam apprend le Yanqing Quan (燕青拳, la "Boxe du héros Yan Qing"), les Treize Taibao (十三太保, les "13 Hauts dignitaires gardiens de l'Empereur de Chine"), le Jingzuo (靜坐, la "Méditation assise"), le Yijinjing (易筋經, les exercices pour "Renforcer les muscles et les tendons", en 37 techniques) et les Tunagong (吐納功, "Exercices où l'on souffle et l'on aspire").


Ching Kam reste 10 ans à Hong Kong. A la suite d'une démonstration qu'il donne, il fait la connaissance de célèbres professeurs : Dong Yingjie (董英傑, 1888-1961, du style Yang du Taiji Quan), Geng Dehai (耿德海, du Dashengpigua Men 大聖劈掛門, une boxe imitant le singe), Liu Fameng (劉法孟,?-1964, du Yingzhao Quan (鷹爪拳), la boxe de l'aigle), etc.
Enfin avec sa famille, Ching Kam arrive en France, à l'époque où les Chinois sont bien rares dans notre pays.
En 1970 le Taiji Quan est encore inconnu en France, Ching Kam est donc un des tout premiers à l'enseigner, tout d'abord à des Chinois, puis progressivement à quelques Français. Il enseigne aussi son art de l'épée, le Chunyangjian, une de ses spécialités. Mais, il ne professe pas l'épée du Xiaozhoutian car hélas, il l'a oubliée. Enfin, à certains de ses élèves, il montre le Qinna (擒拿, les "Saisies") dont il fut sans doute le meilleur représentant en France, le Cha Quan, le Yanqing Quan, les armes, le Sanshou (散手, le "Combat libre"), le Yijinjing, etc.


Nous donnons ici son programme d'enseignement d'alors :

  • Xiaozhoutian ("Petite révolution") en 37 techniques du Taiji Quan :
    • enchaînement du Taiji Quan en 51 techniques,
    • Tuishou (推手) et ses 13 techniques (Peng, Lu, Ji, An, Cai, Lie, Zhou, Kao, Jin, Tui, Gu, Pan, Ding 掤捋擠按採挒肘靠進退 顧盼定),
    • Taiji Quan en 8 techniques (un film de ces 8 techniques a été publié par Naje sur : http://www.dailymotion.com/video/xf1fs5_8-mouvements-esse...),
    • Taiji Quan à deux personnes en 16 techniques;
  • Chunyangjian ("l'Epée du Yang pur"), Chunyangjian à deux personnes;
  • Tantui (la "Jambe élastique"), Tantui à deux personnes;
  • Cha Quan (la "Boxe de Monsieur Cha") :
    • 4e enchaînement du Cha Quan,
    • armes (sabre, deux sabres, deux épées, bâton, lance, hallebardes diverses, bâton à trois sections, chaîne à 13 sections, etc.)
    • combat libre ;
  • Yanqing Quan (la "Boxe du héros Yan Qing") :
    • Da Jingang Quan (大金剛拳, la "Grande boxe de la divinité Jingang),
    • Xiao Jingang Quan (小金剛拳, la "Petite boxe de la divinité Jingang) ;
  • Xinyi Quan (la "Boxe du coeur et de l'esprit") :
    • le coq (雞), le tigre (虎), le dragon (龍), etc.
  • Treize Taibao, un exercice de santé ;
  • Yijinjing (les exercices pour "Renforcer les muscles et les tendons") en 37 techniques ; etc.



L'année 1976, Ching Kam passe à la télévision française (l'extrait peut se voir sur le site de l'INA : http://www.ina.fr/sciences-et-techniques/medecine-sante/v...). A partir de ce passage, il enseigne davantage, sans jamais toutefois accepter beaucoup d'élèves.
Dans les dernières années de sa vie, Ching Kam est atteint par une hémiplégie droite consécutive à un accident vasculaire cérébral qui le laisse paralysé du bras droit. Le vieux combattant ne se décourage pas ; par la pratique de son Taiji Quan, celle du Yijinjing, du Qigong, des Ziwo Anmo (自我安摩, auto-massages) et son entraînement quotidien à la méditation, il se rééduque. Il recouvre ainsi une mobilité quasiment complète de son bras, au grand étonnement de ses amis.
Nous ne serions pas complets si nous ne parlions encore de sa passion pour le violon des Hu (胡琴, Huqin), cet instrument dont l'archet coincé entre deux cordes produit une mélopée si caractéristique...


Voilà, si vous vous souvenez dans les années 80 et 90 de la silhouette, le dimanche matin dans le Jardin du Luxembourg à Paris, d’un vieux Chinois aux allures de jeune homme, taillé comme un hercule que certains pratiquants saluaient avec respect... vous saurez à présent qu'il s'agissait de "Monsieur Ching Kam".